"CYBERSPACE
E CYBERCULTURE"
[...]Nel
"ciberspazio" l'umanità sta sperimentando forme originali
e rivoluzionarie di comunicazione di dati, informazioni, passioni e interessi.
Questo luogo virtuale, consente l'espansione planetaria della mente e
la nascita di una nuova cultura.[...] (Levy, Pierre)
Je
voudrais remercier Monsieur le Professeur Isidor Marí Mayans
qui a pris l’initiative de la traduction en catalan de mon rapport
sur la cyberculture (...) et je voudrais, bien sûr, remercier
Monsieur le Ministre de la Culture du Gouvernement catalan ainsi que
Monsieur le Recteur de l’Université Ouverte qui nous honorent
de leur présence ce soir et je voudrais aussi vous remercier
d’être là et vous dire que je suis très heureux
de prononcer cette conférence, ici, à Barcelone.
Alors, pendant la petite heure que va durer cette conférence,
je voudrais partager avec vous quelques réflexions et quelques
hypothèses sur la Cyberculture. Je voudrais d’abord situer
les choses, mon propos est un propos de philosophe, autrement dit, il
va s’agir de spéculations sur des concepts. Donc, je vous
avertis tout de suite à quelle sauce vous allez être mangés.
Il ne s’agit pas d’un discours culturel critique, comme
les intellectuels français en ont l’habitude, et il ne
s’agit pas non plus de grandes prédictions sur le XXIème
siècle, il s’agit vraiment d’une réflexion
un peu approfondie sur des concepts.
Avant de commencer, de nouveau, quelques définitions. Pour moi,
le Cyberespace c’est un espace d’abord métaphorique,
ce n’est pas un véritable espace. C’est un espace
de communication. Un espace de communication qui est ouvert par l’interconnection
mondiale des ordinateurs. C’est ça le Cyberespace et la
Cyberculture c’est l’ensemble des techniques, des manières
de faire, des manières d’être, des valeurs, des représentations
qui sont liées à l’extension du Cyberespace et,
très probablement, le Cyberespace va continuer à s’étendre,
tous les ordinateurs de la planète vont être interconnectés
et de plus en plus de personnes, de groupes, d’institutions vont
participer à la communication qui se déroule dans cet
espace. Donc, quand je parle de Cyberculture, c’est une culture
au sens anthropologique. Mon hypothèse principale c’est
que, loin d’être une sous-culture des fanatiques du Réseau,
la Cyberculture exprime une mutation majeure de l’essence même
de la culture. Alors, pourquoi ?, parce que, je pense qu’elle
manifeste la montée d’une nouvelle forme d’Universel.
Voilà un grand mot philosophique, et c’est sur cette notion
d’Universel et d’Universalité que je vais essayer
de creuser ce soir.
Pourquoi je dis un nouvel Universel ?, parce qu’il me semble que
l’Universalité qui est construit par la Cyberculture est
différente des formes culturelles universelles qui ont précédé
la Cyberculture. Autrement dit, ce n’est pas une Universalité
qui instaure la même chose ou le même sens partout. C’est
une Universalité qui se construit sur l’indétermination
d’un sens global. Il n’y a pas de sens unique. Il n’y
a pas de sens global. Il n’y a pas de totalisation possible de
ce qui se passe dans le Cyberespace et de ce qui se passe dans la Cyberculture.
Et pourtant, il s’agit d’une Universalité, mais d’une
Universalité par contact, d’une Universalité par
interconnections, tout étant interconnecté, donc, construction
d’un espace Universel, mais cela ne veut pas dire pour autant
que c’est la même chose partout. Parce que ceux qui s’interconnectent,
ce sont des éléments hétérogènes,
des éléments culturels hétérogènes.
Quand je dis que c’est une Universalité sans totalité,
une Universalité qui n’est pas impériale, je ne
veux pas dire par-là qu’il s’agit de quelque chose
de neutre, de quelque chose qui n’a pas de conséquence,
puisque je crois au contraire que ce processus d’interconnection
général a déjà et aura encore plus à
l’avenir d’immenses répercutions dans la vie économique,
politique et culturelle. Mais je dis qu’il s’agit d’un
Universel non pas neutre ou sans conséquence, mais indéterminé
et même qui tend à maintenir son indétermination
parce que chaque fois qu’il y a un nouveau nœud qui s’ajoute
au Réseau, et il y en a sans arrêt des nouveaux nœuds
qui s’ajoutent au Réseau et qui transforment ce Réseau,
et bien il y a production ou émission de nouvelles informations,
des informations imprévisibles et, à chaque fois aussi,
il y a une réorganisation de la connectivité du Réseau,
donc c’est un espace de métamorphose constante, et c’est
un peu sur cet espace de métamorphose constante que je vous invite
à réfléchir ce soir.
Si on veut bien comprendre la mutation de civilisation contemporaine,
puisque là, j’annonce quelque chose d’énorme,
je vous dis que c’est un changement de l’essence même
de la culture, je crois que, je parle d’une mutation culturelle
ou d’une mutation de la civilisation qui est liée à
un changement dans le système de communication. Or, je crois
qu’on peut bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui si
on fait un retour sur les précédentes mutations dans les
systèmes de communication et je crois que la plus grande transformation
dans les systèmes de communication qui a eu lieu dans l’histoire
humaine, c’est l’invention de l’écriture. Et
moi je compare un petit peu ce qui se passe aujourd’hui avec ce
qui s’est passé au moment de l’invention de l’écriture.
Alors selon moi, ce qui s’est passé au moment où
on a inventé l’écriture, ça avait évidemment
énormément de conséquences, mais peut être
le fait le plus important c’est la transformation dans la pragmatique
de la communication.
Dans une société orale, les gens qui sont en communication
les uns avec les autres sont toujours plongés dans la même
situation, dans le même contexte de communication. Si je reçois
dans une société orale un message linguistique complexe,
je suis toujours dans la même situation que la personne qui a
produit et qui a émis ce message. Nous partageons le même
contexte, nous partageons la même situation. Nous interagissons
dans un bain de communication vivant qui est alimenté continuellement
par tous les participants de la communication. A partir du moment où
on invente l’écriture, c’est cette pragmatique de
la communication qui se transforme puisque, à partir de ce moment
là, je peux recevoir un message qui a été produit
par quelqu’un qui est mort depuis cinq cents ans par exemple ou
depuis mille ans, ou je peux recevoir un message qui a été
produit par quelqu’un qui se trouve à dix mille kilomètres
de là, dans un contexte culturel complètement différent.
Donc, il arrive cette chose qui n’existait pas avant l’invention
de l’écriture, un message décontextualisé.
Un message hors contexte ne peut exister qu’à partir du
moment on a inventé l’écriture. Alors, ce que je
crois, c’est que cette notion de hors contexte - et vous voyez
que cette notion là relève de l’histoire des techniques
de communication, relève d’une certaine condition pratique
dans l’exercice de la communication - mais cette notion de hors
contexte va être sublimée, intériorisée par
la culture, va être conceptualisée, et que il va donner
naissance à l’idée d’Universalité.
Il est difficile de comprendre un message quand il est séparé
de son contexte. Alors, du côté de la réception
des messages, on a inventé les arts de l’interprétation,
on a inventé l’air ménodique, et très souvent
ces arts de l’interprétation se sont exercés sur
des textes sacrés par exemple. On a inventé aussi toute
une technologie linguistique, les dictionnaires, les grammaires, la
philologie, etc. Comment comprendre ces messages écrits qui nous
arrivent et dont on ne connaît pas le contexte de production.
Du côté de l’émission de ces messages, certains
ont essayé de produire des messages qui seraient capables de
traverser un grand nombre de contextes différents en gardant
toujours le même sens, et ça, justement, c’est un
message universel. Alors pour vous donner un exemple, les éléments
d’Euclide, c’est-à-dire le premier texte de mathématique
démonstrative, si vous regardez comment il est construit, ça
commence par des définitions, ensuite il y a des axiomes, des
vérités de départ, et puis à partir de ces
axiomes on démontre des théorèmes, et puis à
partir des théorèmes, on démontre encore d’autres
théorèmes et tout ce qui est dans les éléments
d’Euclide peut se comprendre uniquement à partir du texte
lui-même, et non seulement, en principe, peut se comprendre uniquement
à partir du texte lui-même, mais la vérité,
c’est pas seulement que l’on peut le comprendre, mais que
la vérité des propositions du texte est fondée
uniquement dans le texte lui-même. Autrement dit, vous n’avez
pas besoin de faire appel à votre expérience quotidienne,
vous n’avez pas besoin de faire appel à la tradition, vous
n’avez pas le besoin de faire appel à l’opinion des
gens autour de vous, à ce qui est généralement
admis, etc. Donc, c’est une vérité auto-contenue
et c’est pour ça qu’elle est universelle, c’est
pour ça qu’elle peut traverser tous les contextes. En réalité,
il faudrait dire que c’est pour ça qu’elle se prétend
universelle, car bien entendu on sait qu’il y a des géométries
non euclidiennes, etc. et que à chaque fois que on essaye ...,
l’universel est quelque chose que l’on essaye de fabriquer,
il n’y a pas quelque chose qui est réellement universel,
c’est une machine culturelle bien entendue. La science est universelle,
là je parle des mathématiques, on pourrait parler de la
science expérimentale et montrer que la fondation de la science
expérimentale c’est que une expérience peut être
reproductible partout, sinon c’est pas une expérience scientifique
et donc il y a cette capacité d’universalisation, c’est-à-dire
de traverser tous les contextes.
En fait, tout ça n’est possible qu’à l’intérieur
d’un réseau bien particulier qui est celui de la communauté
scientifique, bien sûr. Mais vous voyez comment la visée
d’universalité c’est celle de la même chose
partout. On pourrait parler de la philosophie qui fait appel à
un niveau d’expérience qui est le même pour tout
le monde, par exemple « je pense donc je suis », c’est
quelque chose qui est vrai aussi bien en Chine qu’en France ou
en Catalogne. On pourrait parler des religions universelles, vous savez
sans doute que toutes les religions universelles sont des religions
qui sont fondées sur des textes. Il n’y a pas de religion
universelle qui ne soit pas fondée sur des textes, ce qui ne
veut pas dire que toutes les religions qui ont des textes sont universelles,
bien entendu. Les spécialistes d’anthropologie religieuse
qui sont dans la salle, ne vous en faites pas. Alors, comment ca fonctionne,
par exemple, le Coran, n’est ce pas, ou la Bible, il contient
la révélation, c’est-à-dire qu’il est
lui-même la source de la vérité, et c’est
pour ça qu’il est transportable, car on est pas obligé
de faire appel à une tradition, à quelque chose d’autre,
etc. Bien entendu ça ne fonctionne que parce qu’il y a
des églises, des réseaux de transmission humains qu’on
créé, etc. Mais cependant vous avez des religions qui
ne sont pas universelles, et les religions qui ne sont pas universelles
ne sont pas fondées sur des textes. Si je veux me convertir à
l’Islam, je peux le faire à Barcelone, je peux le faire
à Paris, je peux le faire à la Mecque ou à New
York. Si je veux me convertir à la religion Bororo, je ne peux
pas, ce n’est pas une religion universelle, je n’ai qu’une
possibilité, c’est d’aller vivre avec les Bororo,
n’est ce pas, parce que justement ça n’a pas été
décontextualisé par le texte. Car le texte c’est
justement la décontextualisation paradoxalement.
Alors, dans l’universel qui est fondé par l’écriture,
ce qui se maintient inchangé par toutes les interprétations,
au travers de toutes les interprétations, des traductions, les
translations, les diffusions, les conservations dans le temps, c’est
le sens, n’est ce pas, on essaye de maintenir un sens unique dans
des contextes très différents. On essaye de faire une
vérité décontextualisée. C’est donc
en fait un universel qui ne peut pas se séparer d’une certaine
clôture sémantique, d’une fermeture du sens. C’est
pour ça que je l’appelle un universel totalisant, c’est-à-dire
qui implique une volonté de maîtrise du tout. Ce n’est
pas totalitaire, ne confondons pas, totalitaire c’est méchant,
totalisant c’est acceptable. Alors, pour nous, la notion d’universalité
est quasiment impossible à séparer de la notion de totalisation,
de cette idée de sens unique partout. Et bien, ce que je prétends,
c’est qu’avec la Cyberculture, il y a une séparation
de ces deux notions. C’est-à-dire que quelque chose d’universel
est en train d’arriver, qui n’implique pas une totalisation
du sens. Je pense qu’il s’agit vraiment de la Cyberculture,
c’est-à-dire de cet espace de communication ouvert par
l’interconnection mondiale des ordinateurs, espace de communication
qui permet à chacun d’émettre, de recevoir, de participer
à des processus d’intelligence collective dans des communautés
virtuelles, et je dis bien le Cyberespace, la Cyberculture, et pas les
médias de masse électronique, ce n’est pas la télévision,
parce que je ne crois pas que la télévision bouleverse
fondamentalement l’ordre de communication qui a été
fondé sur les cris statiques, puisque la télévision
diffuse à partir de centres un type de message qui est réglé
sur le plus petit commun dénominateur du public, il ne faut pas
qu’il zape de l’autre côté et le journaliste
de télévision parle en même temps à des gens
qui sont dans des contextes culturels, intellectuels et sociaux très
différents. Donc, lui aussi il doit décontextualisé
son message. C’est pour ça que souvent il n’est pas
très intéressant.
Alors, pourquoi avec la Cyberculture il y a un débrayage entre
l’universalité et la totalisation. Et bien, parce que justement,
c’est de nouveau comme avec l’invention de l’écriture,
c’est de nouveau un changement majeur de la pragmatique de la
communication, c’est-à-dire des procédures effectives
et concrètes de la manière dont on communique, c’est
ça qui est en train de changer. Et c’est pour ça
que la culture est en train de changer, car la culture, finalement,
c’est un processus de transmission, un processus de communication
entre des êtres humains, c’est ce qui fait que les êtres
humains ont une histoire, tandis que les animaux n’en ont pas.
Donc c’est bien fondé sur la transmission, sur la mémoire,
sur le partage des informations et des connaissances, et là justement,
on a de nouveaux supports, on a de nouveaux espaces pour partager, transmettre,
enregistrer ses connaissances. C’est pour ça que la culture
est en train de se transformer fondamentalement. Peut être de
manière aussi importante que quand on a inventé l’écriture.
Alors, d’une certaine façon, la Cyberculture nous amène,
nous ramène, au fond, à la situation des sociétés
orales, mais évidemment à une toute autre échelle
et sur une tout autre orbite, puisque que l’interconnection, le
dynamisme en temps réel des mémoires en ligne, de nouveau
nous fait partager le même contexte, et j’ai envie de dire
que ce contexte se matérialise, prend la forme quasiment visible
du grand hypertexte du World Wide Web. Ce grand contexte partagé
de tous les participants à la communication, c’est l’hypertexte
qu’il y a sur Internert, hypertexte dont finalement chaque document
qui se trouve quelque part dans le monde sur le disque dur d’un
ordinateur, chaque document numérisé forme virtuellement
une partie. D’une certaine façon, il n’y a plus qu’un
immense hyperdocument, un seul grand contexte culturel qui est virtuellement,
lui aussi, partagé par tout un chacun. Et donc, quel que soit
le message que nous abordons dans cet espace de documentation, ce message
va être connecté à d’autres messages, il va
être connecté à des commentaires, il va être
connecté à des gloses, il va être connecté
surtout, non seulement à d’autres messages, mais surtout
à des personnes vivantes qui sont peut être les producteurs
de ces messages, qui sont les autres lecteurs de ces messages, qui sont
des personnes qui travaillent sur les mêmes sujets ou qui sont
passionnées par le même thème. Et donc, non seulement
tous les messages sont en interconnection, mais tous les participants
de la communication sont en connection les uns avec les autres, notamment
par l’intermédiaire de ce milieu médiateur qu’est
le Cyberespace. Et on peut se représenter le Cyberespace comme
un grand hyperdocument en transformation constante qui matérialise
le contexte commun de la communication. Alors, bien entendu, «
commun » il faut le prendre entre guillemets par ce que c’est
en fait c’est une multitude de micro-contextes en connection les
uns avec les autres qu’il s’agit, et évidemment aussi
pour les individus de passer d’un micro-contexte à l’autre,
parce que, précisément, si je dis qu’il n’y
a plus de totalisation possible, c’est que c’est un contexte
qui est virtuellement commun, mais qui n’est pas commun au sens
où l’on pourrait le dominer du regard, quel que soit le
point où on se trouve. Personne ne peut le maîtriser, et
pourtant, ils sont tous en connection les uns avec les autres. C’est
pour ça que je parle d’universel sans totalité.
Donc maintenant, d’une certaine façon, il n’y a plus
techniquement, et si on poursuit l’évolution à laquelle
on est en train d’assister aujourd’hui, techniquement, on
peut dire que dans quelques années, dans quelques dizaines d’années,
il n’y aura plus de messages hors contexte, cette notion de hors
contexte n’existera plus.
Alors, voyez que l’on est face à un réseau de communication
qui a autant de centres différents que de nœuds. Ce n’est
pas que tous les nœuds du réseau sont semblables et qu’il
n’y a pas de centre, bien entendu, mais c’est que tous les
nœuds du réseau sont différents et il n’y a
pas de centre. C’est ça qu’il faut essayer de se
représenter et que pour chaque point de vue, il y a une organisation
différente du tout. D’une certaine façon, cette
idée, on peut la toucher du doigt quand un regarde un site web,
très souvent le site web renvoie vers d’autres sites web,
et on peut dire que ces liens qui mènent vers d’autres
sites web, c’est en quelque sorte le point de vue de ceux qui
ont fait le site sur le reste du réseau. Voilà ce qui
est intéressant et important selon nous. Mais, quand vous allez
sur un autre site web, vous avez aussi un autre point de vue et puis
encore un autre point de vue, etc. Donc vous voyez que chaque élément
fait en quelque sorte partie du stock d’informations, mais c’est
aussi un point de vue sur le reste du tout, c’est pour ça
qu’il n’y a pas de totalisation unique, même si, bien
entendu, on est obligé chacun de fabriquer des petits tout, parce
que comprendre c’est comptabiliser bien entendu. Mais il n’y
a pas de totalisation universelle possible, c’est ça qu’il
faut comprendre. Donc ce mouvement d’interconnection croisant,
il s’oppose à cette culture qui était fondée
sur des messages décontextualisés, cet universel qui était
fondé sur la décontextualisation.
Vous pourriez me dire : vous appelez ça de l’universel,
mais peut être que c’est simplement du planétaire,
peut être que c’est juste la mondialisation, peut être
qu’il s’agit du global, la globalisation de l’économie,
la globalisation des marchés financiers, etc. Alors, évidemment,
ça serait moins intéressant si c’était seulement
ça. D’ailleurs, je ne vous cacherai pas que c’est
aussi ça, mais ce que je voudrais souligner c’est que ce
n’est pas seulement de la mondialisation ou de la globalisation
qu’il est question. Je crois que cet universel par contact, cet
universel par connection, c’est encore de l’universel au
sens le plus profond, au sens de la philosophie des lumières,
si vous voulez, parce qu’il comprend l’idée d’humanité
et, au fond, même ceux qui critiquent le Cyberespace ou la Cyberculture
en disant mais : « oui, vous dites universel, mais les africains
ne peuvent pas avoir accès, il y a des gens qui sont exclus,
etc. Dès qu’on dit ça, on reconnaît, implicitement,
que la participation à cet espace où chacun peut émettre
pour tous, où on peut avoir accès à toute sorte
de connaissance, où tous les être humains peuvent toucher
du doigt quasiment virtuellement les autres êtres humains, la
participation à cet espace relève d’un droit, d’un
certaine façon, la participation à l’intelligence
collective de l’humanité relève d’un droit,
c’est pour ça que je dis qu’il y a l’idée
d’humanité dans cet espace ouvert par l’interconnection
mondiale des ordinateurs.
Donc, vous voyez que plus le Cyberespace est universel, c’est-à-dire
plus il s’étend, plus il y a d’interconnections,
plus c’est interactif, et moins c’est totalisable parce
qu’il y a toujours de nouvelles informations, de nouvelles sources
d’information, de nouveaux point de vue sur l’ensemble,
c’est ça le paradoxe central, plus c’est universel
et moins c’est totalisable. Et chaque fois qu’il y a une
nouvelle connection, il y a une nouvelle ligne de fuite, il y a une
nouvelle façon d’échapper à la totalité,
d’une certaine manière. Et donc, c’est de plus en
plus difficile à clore, c’est de plus en plus difficile
à maîtriser, et en même temps, ça nous donne
l’occasion de participer de manière plus active, plus intense,
plus concrète à l’intelligence collective de l’humanité,
car justement, l’intelligence collective c’est pas une intelligence
globale, massive, tout le monde penserait la même chose ou tout
le monde serait perdu dans cette espèce de soupe de cerveaux
planétaires, ce n’est pas ça du tout, c’est
au contraire le jeu des différences, la relance mutuelle de toutes
les singularités, des synergies transversales qui tout d’un
coup se créent, et ça, ça n’arrive que parce
que il y a ce surgissement de choses hétérogènes.
D’une certaine façon, c’est le véritable universel,
c’est-à-dire que ce n’est pas la dilatation d’un
local particulier, ce n’est pas l’exportation forcée
des produits d’une culture, même si certains disent : «
Ah, c’est terrible, c’est la domination des Etats Unis,
etc. ». C’est sûr que la puissance de création
commerciale, économique et culturelle américaine se manifeste
dans ce Réseau, mais il est très important de comprendre
que si quelqu’un prend beaucoup de place dans le Cyberespace.
il n’enlève pas de la place aux autres, parce que ce n’est
pas un espace territorial, c’est un espace virtuel et qui a toujours
autant de place que l’on veut. Donc, il faut pas raisonner de
la même manière qu’avec les médias de masse
par exemple ou encore moins avec les territoires. C’est pour ça
que je pense et je crois que vous devriez y être particulièrement
sensibles ici c’est qu’il s’agit d’une chance
pour les cultures minoritaires, pour toutes les cultures minoritaires
et, ce que je disais ce matin avec les journalistes, c’est que
toutes les cultures sont minoritaires, mais certaines croient qu’elles
ne le sont pas, et vous, vous avez ici la chance de savoir la vérité.
Alors, pourquoi inventer cette notion d’universel sans totalité,
alors qu’on a déjà l’idée de la postmodernité,
et bien parce que, justement, ce n’est pas a même chose.
Qu’est ce que c’est que la postmodernité, c’est
justement l’éclatement de la totalisation. C’est
de dire : « on sait bien qu’il n’y a pas de progrès
linéaire et garanti, qu’il n’y a pas vraiment d’avant-garde
en art, il n’y a pas vraiment de sens de l’histoire et donc
d’avant-garde en politique, ni d’ailleurs en aucun domaine,
si il y a plus un sens de l’histoire, si il y a plein de petites
propositions dont chacune lutte pour sa légitimité, c’est
très difficile d’organiser une cohérence globale.
Donc, la postmodernité c’est la fin des grands récits,
c’est l’enchevêtrement des points de vue, c’est
le fait que chaque point de vue a sa légitimité et même
le point de vue contradictoire est légitime aussi, donc tout
est enchevêtré, c’est ça l’idée
de la postmodernité.
Alors, d’une certaine façon, tous ces aspects-là
sont parfaitement présents dans la Cyberculture, mais ce que
n’a pas vu la philosophie postmoderne, c’est qu’il
y avait justement en même temps l’apparition d’une
nouvelle universalité. Autrement dit, les postmodernes ont jeté
le bébé de l’universel avec l’eau sale de
la totalité.
Qu’est-ce que c’est que l’universalité ?, Alors
que je ne l’ai pas encore définie, parce que maintenant,
il faut la définir indépendamment de cette notion de totalité
ou de non totalité. Qu’est-ce que c’est que l’universalité
? Tout à l’heure, je disais que ça implique l’idée
d’humanité. Et bien, l’universalité c’est
la présence à soi-même de l’humanité.
Et, je vais développer ce point, ce que montre la Cyberculture,
ou en tout cas la chance que nous offre la Cyberculture, peut être
que nous ne serons pas la saisir, rien n’est garanti, la chance
que nous offre la Cyberculture c’est de montrer qu’il y
a une autre manière d’instaurer la présence de l’humanité
à elle-même que par l’identité du sens, une
autre façon que l’humanité se rencontre à
elle-même que en créant une totalité close.
Alors, je voudrais développer un petit peu cette notion d’universalité.
Donc, l’universel au fond c’est l’ici et maintenant
de l’espèce, mais un ici et maintenant virtuel. Un espèce
de point de rencontre virtuel de l’humanité, un peu comme
il y a des colonnes virtuelles dans cette salle, c’est-à-dire
que la colonne est là mais la colonne n’est pas là,
ça existe mais c’est pas là, c’est comme ça.
Alors, par exemple, une religion universelle, elle est sensée
s’adresser à tous les êtres humains, elle réunit
virtuellement tous les êtres humains dans ses valeurs, dans ses
promesses sur la fin des temps, dans sa révélation, la
révélation elle est sensée valoir pour tout le
monde. etc. Donc, toute l’humanité est impliquée,
mais elle est impliquée virtuellement, bien sûr, une religion.
On pourrait dire aussi que la science est universelle, mais la science
elle aussi permet à l’humanité de se rencontrer
elle-même d’une certaine façon, d’une manière
différente de la religion. Chaque fois qu’un savant fait
une découverte, n’est ce pas, il fait une découverte
pour l’ensemble de l’humanité, il ne fait pas une
découverte pour lui-même et en principe chacun est sensé
comprendre ce que la science dit même s’il n’a pas
fait beaucoup d’étude, en principe n’importe quel
être humain qui s’y efforce peut comprendre une découverte
ou une vérité scientifique. Donc là, ce qui fait
l’unité du genre humain, c’est le sujet transcendantal
de la connaissance. On pourrait parler des droits de l’homme aussi,
les droits de l’homme sont universels, mais bien entendu, ils
sont universels virtuellement, ils valent pour toute l’humanité,
ce qui ne veut pas dire qu’ils sont respectés partout.
Donc ils réunissent vraiment toute l’humanité, mais
seulement virtuellement, dans une idée. Alors, ce qu’il
y a d’intéressant avec le Cyberespace, c’est que
l’humanité se rencontre elle-même dans cet espace
de communication, mais d’une façon beaucoup moins virtuelle
encore qui veut pas dire que la religion, la philosophie, la science
et le droit n’ont pas de validité. Ne me faites surtout
pas dire ce que je n’ai pas dit. Moi, je suis philosophe, j’adore
la philosophie, j’aime beaucoup la science, je suis profondément
croyant. Mais, il y a quelque chose de beaucoup plus concret dans le
nouvel espace de communication que nous sommes en train de construire
sur la planète. Parce que le Cyberespace c’est un nouveau
lieu virtuel où l’humanité se rencontre elle-même,
justement par la médiation de ce grand hypertexte de la culture
mondiale, de la culture planétaire, des cultures planétaires.
Mais vous voyez que là, on n’est plus obligé de
prétendre que c’est la même chose partout, qu’il
y a un sujet transcendantal unique de la connaissance, ce que je conteste,
ou de prétendre que la religion que je professe en fait est valable
pour toute l’humanité, ou etc. Donc, vous voyez que là
on peut faire advenir la présence virtuelle à soi-même
de l’humanité sans imposer une unité du sens. Alors,
j’approche de ma conclusion, on pourrait dire, on pourrait distinguer
trois grandes étapes de l’Histoire. Donc, Philosophie de
l’Histoire en trois minutes. Excusez-moi, mais il ne reste que
trois minutes de toute façon. Première étape, celle
des petites sociétés closes de culture orale qui vivaient
une totalité, le clan, la tribu, le groupe, etc., une totalité,
mais sans universalité. Deuxième étape, celle des
sociétés soi-disant civilisées, des sociétés
impériales, des sociétés qui connaissent la ville,
l’agriculture, l’écriture, qui elles ont fait surgir
un universel à prétention totalisante et, peut être,
une troisième étape qui correspond à la mondialisation
concrète des sociétés qui inventent un universel,
c’est-à-dire une présence effective de l’humanité
à elle-même mais sans totalité, ce qui ne veut pas
dire que, attention, quand je dis sans totalité, c’est
sans totalité à l’échelle universelle, bien
entendu, il continue à exister un très grand nombre de
micro-totalité dans lequel se ressourcent, et auquel retournent
toutes les diversités qui se rencontrent. Je ne suis pas du tout
en train de prôner la dissolution de toutes les particularités
culturelle dans une grande soupe uniforme. Justement, si elle n’est
pas uniforme c’est parce que cette totalité existe toujours,
mais diverse. Alors donc, .......... je pense à cette troisième
étape de l’évolution, elle correspond au moment
où l’espèce humaine par justement la mondialisation
économique, par la densification des réseaux de communication
et de transport tend à ne plus former qu’une seule communauté
mondiale. Alors, bien entendu, cette communauté est tout à
fait inégalitaire, comme vous le savez et les conflits sont tout
aussi terribles qu’avant. Ce n’est pas parce qu’on
est dans cette situation qu’il n’y a plus de guerre, bien
entendu, on le voit, on pourrait dire qu’il y en a peut être
presque plus qu’avant. Mais ce que je veux dire, c’est que
dorénavant, pour ceux qui ont un regard qui perce à travers
les apparences, c’est pas du tout qu’il y a plus de guerre,
c’est que toutes les guerres en fait sont des guerres civiles,
parce que l’on fait tous partie de la même société,
parce que l’on est tous en interaction avec les autres.
Alors, c’est justement parce qu’il y a cette interconnection
de l’humanité avec elle-même que l’unité
du sens est en train d’éclater, il n’y a plus de
sens unique, de sens qui pourrait réconcilier tout le monde,
mais d’une certaine façon peut être qu’on n’en
a plus besoin puisque que, dorénavant, l’humanité
peut se toucher elle-même, peut se rendre compte qu’elle
existe, ce n’est plus seulement une idée. Autrement dit,
cette rencontre de l’humanité avec elle-même commence
à se réaliser pratiquement par le contact, par l’interaction.
Donc évidemment, pas seulement par le Cyberespace, le Cyberespace
est la dimension intellectuelle ou communicationnelle d’un phénomène
qui est beaucoup général.
Alors, je ne crois pas du tout comme je le disais tout à l’heure
qu’il s’agit d’une perte ou d’une dissolution
des traditions. Au fond, qu’est-ce que c’est qu’une
tradition ?, c’est de l’intelligence collective qui se déploie
dans le temps. C’est l’intelligence collective d’une
lignée de transmissions, que ce soit une transmission de lignée
intellectuelle comme l’université, une lignée de
transmission spirituelle comme des églises ou des groupes religieux,
une lignée de transmission culturelle, au sens anthropologique,
comme le sont des nations, des lignées de transmissions linguistiques,
etc. c’est çà une tradition. Mais quand je dis que
c’est une transmission collective, c’est que ça ne
reste vivant que parce que à chaque étape de la transmission,
à chaque opération, il y a une réinterprétation,
il y a une recréation, l’héritage ressuscite à
chaque fois qu’il est transmis. Alors c’est pour ça
que une tradition ou une culture reste vivante. C’est pour ça
que c’est de l’intelligence collective, parce que chaque
opérateur de ce réseau d’intelligence collective
y amène quelque chose, sans quoi, évidemment, la tradition
est morte et ce n’est pas de l’intelligence collective bien
sur. Et bien, ce qui se passe avec la Cyberculture, c’est que
non seulement, bien entendu, ces lignées de transmission vivantes,
ces intelligences collectives continuent, peuvent continuer à
se déployer diacroniquement dans le temps, dans l’histoire,
mais que de plus en plus, elles peuvent se déployer dans l’espace,
horizontalement, et en quelque sorte selon des lignes de parcours nomades
qui sont transversaux à diverses traditions. Autrement dit, c’est
une manière nouvelle de faire fonctionner l’intelligence
collective de l’humanité, une manière nouvelle d’aborder
la culture qui se nourrit des traditions dans le temps, bien entendu,
et qui nourrit aussi ces traditions, mais qui se déploie dans
un espace d’intelligence collective qui est dorénavant
aussi vaste que l’humanité. Voilà, je vous remercie.
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