"COMMENT
L'INTELLIGENCE COLLECTIVE
PEUT SURGIR SUR LE NET"
Intervista
a Pierre Levy sul concetto di intelligenza collettiva.
Le
Temps: Au-delà de sa médiatisation, que retenez-vous de
l'essor du réseau mondial?
Pierre Lévy: J'aimerais souligner l'originalité de cet espace
de communication. Cette originalité apparaît mieux si on
la met en regard des autres modes de communication. Si on regarde les
médias (presse, radio, télévision), on a une structure
avec un centre émetteur et un grand nombre de récepteurs
passifs et, surtout, isolés les uns des autres. Le deuxième
grand type de communication est celui du téléphone dans
lequel un vrai dialogue est possible parce qu'il y a réciprocité
de la communication. Mais cette communication n'a lieu que de point à
point, d'individu à individu. Il n'y a pas de création de
communauté. Le grand avantage d'Internet, c'est qu'il combine les
aspects positifs des deux médias précédents. Il y
a l'adressage fin des messages, l'interactivité, mais il y a aussi
une dimension collective avec la possibilité de créer une
communauté.
Vous venez de présenter un rapport au Conseil de l'Europe sur la
cyberculture. Concrètement, que préconisez-vous?
J'essaye de faire prendre conscience aux responsables des grands enjeux
que cela représente dans les domaines de l'éducation, de
la citoyenneté, et également de tout ce qui concerne la
dimension esthétique. Concernant le thème éducatif,
je plaide pour une reconnaissance du nouveau rapport au savoir qui est
en train de s'instituer avec les moyens de communication interactifs.
Je recommande leur utilisation à l'école et à l'université
de la manière la plus large et la plus éclairée car
cela permet de mieux apprendre et de mieux s'intégrer dans le monde
contemporain.
Comment définissez-vous la cyberculture?
Ce n'est pas la culture des fanatiques d'Internet, c'est une transformation
profonde de la notion même de culture. Et c'est difficilement séparable
des autres transformations sociales que nous connaissons depuis 20 à
25 ans: l'urbanisation galopante; la montée du niveau d'éducation;
la mondialisation économique; le développement des contacts
entre cultures. L'humanité est en train de se rencontrer elle-même.
Internet est pour moi une espèce de matérialisation de l'"universel
sans totalité", c'est qu'il n'y a pas de centre du réseau,
il n'y a pas de sens unique. Chaque fois que vous avez un nouveau noeud
dans le réseau, un nouveau site, un nouveau groupe de discussion,
un nouvel abonné, vous avez une nouvelle source d'hétérogénéité
et de diversité. Depuis dix ans, vous avez de plus en plus de langues,
de thèmes abordés, de pays concernés. C'est un processus
absolument passionnant à observer.
L'anglais représente plus de 80% de tous les messages et
documents accessibles sur le réseau. Cette langue n'en est-elle
pas tout simplement le protocole commun?
- Oui, mais c'est déjà le cas dans le tourisme, la finance,
la communauté scientifique. Je crois que le plus important est
d'observer la tendance plutôt que les chiffres absolus. Au début,
100% des données sur Internet étaient en anglais, maintenant
cela évolue dans le sens d'une diminution de l'anglais au fur et
à mesure que des gens d'autres cultures font leur entrée
dans le cyberespace. Je voudrais souligner que la sauvegarde de la diversité
est entre les mains de tous.
Personne ne nous empêche de faire des sites en français,
en arabe, en chinois. C'est une question d'initiative: ainsi par exemple,
au dernier trimestre 1997, 30% des sites en français venaient des
Québécois alors qu'ils ne représentent que 5% de
la population francophone.
Serait-il souhaitable et possible de réglementer le réseau?
Tout d'abord, il y a des règles de droit concernant ce qui est
licite d'exprimer publiquement ou non. Il faut vraiment travailler beaucoup
pour se rendre anonyme. Evidemment il y a des types de communautés
virtuelles où la règle du jeu est de prendre un pseudonyme.
C'est comme à un bal masqué, vous n'allez pas porter plainte
parce que les gens ont des masques!
En fait, il reste un seul vrai problème: si par exemple des informations
sont interdites dans un pays, il est tout à fait possible d'émettre
lesditesinformations à partir d'un autre pays où cela est
autorisé. Le réseau ne connaît absolument pas les
frontières. Il s'agit là d'un problème de discipline
des internautes et peut-être aussi de législation internationale.
Mais je ne crois pas qu'il faille rétablir la censure sur Internet.
Cela me semblerait une régression incroyable.
On vous sent très impliqué dans le phénomène
que vous observez. Où se situe votre propre regard critique sur
le cyberespace?
Si je suis optimiste, c'est pour décrire les meilleures utilisations
qui sont faites de ce nouveau système de communication. Je ne crois
pasmanquer d'esprit critique en essayant de promouvoir les pratiquesd'intelligence
collective, c'est déjà une manière de marquer une
différence.
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